« Les employés sont fatigués, l’ambiance est mauvaise » : à Bordeaux, l’Ehpad Le Platane inquiète des familles

Visé par une enquête du Département en 2023 et un signalement à l’ARS, l’Ehpad Le Platane à Bordeaux continue de susciter les plaintes de familles de résidents et de salariés fatigués
« Un jour à 14 heures, j’arrive dans la salle commune. Maman était au milieu, dans son fauteuil, cul nul. Elle avait son gilet mais pas de protection, pas de pantalon, pas de couverture pour la cacher. » La scène racontée se déroule en février dernier à l’Ehpad Le Platane, un établissement associatif géré par le groupe Korian depuis 2014, dans le quartier du Grand-Parc à Bordeaux. Cette résidente, âgée de 99 ans, est alors installée à l’Unité de vie protégée, une section destinée aux résidents atteints de troubles dégénératifs sévères nécessitant un accompagnement spécialisé.
Chutes à répétition, hématome au visage, fugue, mauvaise hygiène, vols de vêtements, développement d’une escarre, échange de dentiers : depuis l’entrée de leur mère en 2021, Maryse et Martine Bourgeois se sont plaintes une dizaine de fois par écrit de mauvais traitements infligés à leur mère. En septembre 2023, elles saisissent, avec d’autres familles, l’Agence régionale de santé (ARS) et le Département de la Gironde qui ouvre une enquête, toujours en cours. En janvier suivant, l’ARS réunit les familles, la direction de l’établissement et le directeur régional des Ehpad Korian (aujourd’hui en reconversion) et supervise un plan d’action pour améliorer la qualité des repas, le nettoyage et la réparation du mobilier.
Équipes instablesQuelques mois plus tard, en juillet 2024, une infirmière habituée aux remplacements dans l’établissement commence à travailler sans contrat aux côtés de collègues impayés depuis deux mois. L’arrivée d’un nouveau directeur au début de l’été régularise la situation. Mais, pendant plusieurs mois encore, l’Ehpad fonctionne presque sans encadrement, entre arrêts maladie et démissions. En novembre, c’est la responsable hôtelière qui est licenciée pour mauvaise gestion de ses équipes. « En cinquante-deux ans, je n’avais jamais été virée, alors que j’ai assuré la gestion administrative quasi seule cet été. »
« Ce turnover ne permet pas de connaître l’état de santé de chacun et d’assurer un bon suivi médical »
« L’établissement a connu une période difficile en 2024 mais les équipes de direction et d’encadrement sont désormais stabilisées, assure son directeur, Cyril Boa. Huit postes d’aides-soignantes sur 26 sont encore vacants mais des vacataires se relaient pour assurer les remplacements. Les soignants changent également régulièrement de secteur pour apprendre à connaître tous les résidents. » Mais pour le personnel, « ce turnover ne permet pas de connaître l’état de santé de chacun et d’assurer un bon suivi médical », estime une autre infirmière, qui effectue régulièrement des remplacements depuis le Covid. Un propos appuyé par Stéphanie (1), dont la mère a été hospitalisée en février pour une pneumopathie : « La cadre infirmière ne savait pas qu’elle faisait de l’asthme. Il a fallu attendre trois jours pour faire venir les urgences. Entre-temps, elle était tombée trois fois. » D’autres dénoncent l’emploi de personnel non-qualifié pour occuper certains postes.
« Dysfonctionnements »De son côté, Patricia (1), la fille d’une résidente, observe que les médicaments « en si besoin » ne sont régulièrement pas distribués aux résidents avant la nuit. Récemment, une jeune aide-soignante de nuit a éclaté en sanglots faute de pouvoir soulager un résident, raconte-t-elle. Pour autant, Cyril Boa réfute toute accusation de maltraitance ou de négligences. « On ne peut pas nier qu’il y ait des dysfonctionnements, mais c’est le propre de tout établissement. » Il dénombre cependant huit événements indésirables graves depuis janvier, dont deux chutes graves, et confirme que l’eau a été contaminée par la légionellose en début d’année avant que le système d’eau chaude soit remplacé.
« Les employés sont fatigués, l’ambiance est mauvaise », s’accordent à dire plusieurs témoins. Les tensions entre les familles et les employés sont monnaie courante. Cyril Boa regrette « un rapport de confrontation permanent » et « une rupture de confiance » de la part de certaines familles à laquelle il tente de remédier par le dialogue. Mais la hausse des tarifs, accordée à tous les Ehpad par le Département en janvier dernier, n’a pas aidé à apaiser les relations. « Chaque accroc devient une montagne, confirme Maryse Bourgeois. J’ai 76 ans et, quand je commencerai à perdre la tête, je préfère tout plutôt que d’aller en Ehpad. »
Les sœurs Bourgeois s’apprêtent à faire un nouveau courrier de signalement. Contactée, l’ARS assure que la situation s’est largement améliorée depuis 2023 et que la communication est restaurée entre la direction, le personnel et les familles.
(1) Les noms ont été modifiés.
SudOuest