Canada. « Ça rapporte beaucoup d'argent à l'État » : au Québec, le cannabis a trouvé son modèle légal

La boutique est discrète, avec des vitres opaques. La façade sobre et sans slogan publicitaire ne donne aucune indication sur ce qui est vendu à l’intérieur. Le profil des clients qui poussent la porte est très varié : des jeunes, des personnes âgées, des cadres en costume sortant du bureau, très peu de « rastas » avec leurs dreadlocks. Seule l’enseigne austère, au style très dépouillé, permet de savoir qu’il s’agit d’une succursale de la SQDC (Société québécoise du cannabis). C’est-à-dire un des plus de 100 magasins publics où les Québécois d’au moins 21 ans peuvent acheter en toute légalité jusqu’à 30 grammes de cannabis pour leur consommation personnelle.
En 2018, le Canada devient le deuxième pays du monde après l’Uruguay à légaliser le cannabis récréatif. Cette réforme restera comme un des principaux legs politiques de l’ancien Premier ministre Justin Trudeau. Le Québec a adopté le modèle le plus restrictif, reposant notamment sur un monopole public et un taux maximal de 30 % de THC, le principal composant psychoactif du cannabis. « Nous vendons des produits récréatifs dans une optique de protéger », explique Chu Anh Pham, porte-parole de la SQDC. « Le Québec est la seule province où la vente de cannabis est interdite aux moins de 21 ans, contre 18 ans ailleurs. »
« Tout est fait pour une consommation responsable »La sobriété de la façade est la même à l’intérieur des boutiques et les employés ont pour consigne de vouvoyer les clients. « On fait du conseil et les salariés ne touchent pas de commissions. La SQDC ne recrute pas d’anciens dealers reconvertis », précise Francis Lussier, le directeur de la succursale de Mile End à Montréal. « On ne vend pas de produits attrayants comme des bonbons ou du chocolat au cannabis qui pourraient pousser à consommer davantage. Tout est fait pour une consommation responsable », assure Chu Anh Pham.
Le modèle québécois est souvent montré en exemple. Une délégation de parlementaires français s’est récemment déplacée dans la Belle Province pour voir comment la France pourrait s’en inspirer. « L’expérience québécoise montre qu’un modèle centré sur la santé publique peut prévenir certaines dérives observées ailleurs », commentent les chercheurs Roula Haddad et Jean-Sébastien Fallu de l’université de Montréal dans un article de The Conversation.
La légalisation du cannabis n’a pas entraîné d’explosion du nombre de consommateurs, comme le craignaient les opposants à la réforme. La proportion de Québécois de 15 ans et plus ayant consommé du cannabis au cours des 12 mois précédents a toutefois légèrement augmenté depuis la légalisation, passant de 14 % à 18 % entre 2018 et 2024, selon l’Institut national de santé publique du Québec. Mais la vente réservée aux 21 ans et plus a entraîné une baisse de la consommation chez les plus jeunes. Les 15-20 ans ne sont plus que 21,9 % à consommer du cannabis en 2024, contre 28 % en 2018.
« Je ne suis plus obligée de fréquenter des dealers potentiellement dangereux »Le monopole d’État québécois a permis de réduire drastiquement le trafic illégal, dans la même proportion que la province de l’Ontario qui a ouvert la vente de cannabis au secteur privé. « La SQDC a capté la même part de marché - autour de 63 % - avec 10 fois moins de points de vente. Le marché illégal en conserve environ 37 %. La légalisation a fait baisser la criminalité et les quantités de cannabis saisies », souligne Chu Anh Pham.
Avec un prix moyen de six dollars canadiens (3,75 euros) le gramme, les boutiques de la SQDC restent compétitives, tout en garantissant une qualité contrôlée par Santé Canada, l’agence de la santé publique, et un cannabis 100 % canadien. « Je ne suis plus obligée de fréquenter des dealers potentiellement dangereux qui proposent aussi de la cocaïne et ça rapporte beaucoup d’argent à l’État », se réjouit Françoise, une ingénieure française de 50 ans qui vit à Montréal depuis 30 ans.
« Je suis heureuse de ne plus financer le crime organisé »En plus de la baisse des dépenses de lutte contre le trafic de stupéfiants, la légalisation apporte des retombées économiques et fiscales. Sur l’exercice 2024-2025, la SDQC a vendu légalement 149 tonnes de cannabis et reversé à l’État québécois 295,9 millions de dollars canadiens (185 millions d’euros).
« Je suis heureuse de ne plus financer le crime organisé », commente Séverine, une enseignante franco-canadienne de 53 ans qui vit à Montréal depuis 18 ans. « Il faudrait débattre de la légalisation en France même s’il y a moins de pression sociale au Canada et une société qui était prête pour cette réforme. Le tout répressif n’est pas une solution », ajoute cette cliente qui fume un joint par jour. D’autres consommateurs font des allers-retours entre la SQDC et leur dealer, comme Kamil. « Je continue à acheter du cannabis sur le marché illégal car il est parfois moins cher mais l’argent va aux Hells Angels et la qualité est moins garantie. L’autre avantage de la légalisation, c’est la baisse de la consommation des jeunes de moins de 21 ans car il y a moins de dealers dans la rue », constate ce Montréalais de 35 ans qui travaille dans la logistique.
Le Bien Public